"Un billet à 10,70 euros pourrait atteindre de 95 à 117 euros" : le tissu culturel des Pays de la Loire secoué par les coupes budgétaires de la Région

Le 19 décembre 2024, Christelle Morançais (Horizons), présidente du conseil régional des Pays de la Loire, a annoncé une réduction drastique de 100 millions d'euros dans le budget de fonctionnement. Finalement, une baisse de 82 millions d'euros a été votée en décembre, dont 70% affectent le secteur culturel.
La région est durement touchée par ces réductions visant à réduire la dette publique. Cette décision fragilise un secteur culturel déjà affaibli. En ciblant notamment la culture, elle plonge les acteurs dans l'incertitude, avec des répercussions sérieuses pour de nombreuses institutions culturelles régionales. Comment se traduit sur le terrain la décision du conseil régional ? Quelles conséquences concrètes pourra-t-elle avoir sur le tissu local ?
"C'est le marasme total. Les décisions ont été prises brutalement, sans concertation avec les autres collectivités publiques. Ni nous, ni la ville du Mans, ni le conseil départemental n'avons été consultés", affirme Virginie Boccard, directrice de la Scène nationale du Mans, les Quinconces et l'Espal. Elle dénonce un "mépris" de la présidente et souligne l'absence de communication avec les collectivités publiques. En raison de cette décision, des projets ont dû être annulés sans préavis, provoquant colère et incompréhension.
François Gabory, président du Réseau Chainon – une organisation basée à Laval, en Mayenne, qui promeut le repérage artistique et le développement culturel –, assure que le manque de concertation n'est pas une question politique. "Avec Bruno Retailleau, président du conseil régional, il y avait un dialogue malgré nos désaccords. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La majorité actuelle agit sans respect ni échanges."
/2025/02/21/000-36qz2nm-67b88ab7c249c338542299.jpg)
Pourquoi de telles réductions ? Pour les justifier, la Région invoque la nécessité d'une rigueur financière en raison du contexte économique actuel : "Dans une période de contrainte budgétaire telle qu'on la connaît, on ne peut plus être au rendez-vous de ce que l'on faisait au préalable. Les choix que l'on fait aujourd'hui n'invalident pas la pertinence et l'historicité du partenariat qu'on avait à l'époque. Mais il n'y a plus d'argent", a déclaré Alexandre Thébault, conseiller délégué à la culture et au patrimoine de la région, lors d'une interview sur France Culture, en décembre 2024.
Sur X (ex-Twitter), la présidente se félicite de l'adoption d'"un budget d'économies, de choix politiques forts" qui se concentre sur le "recentrage sur nos compétences prioritaires".
🗳️Le budget régional adopté à une large majorité !64 conseillers régionaux sur 93 ont voté en faveur du budget régional pour l’année 2025.Jamais dans l’histoire de notre majorité un budget a été adopté plus largement que celui-ci !
C’est un budget d’économies, de choix… pic.twitter.com/7mlKq6mscn
Les scènes nationales, telles que les Quinconces et l'Espal au Mans et Le Carré à Château-Gontier (Mayenne), jouent un rôle crucial en offrant un accès culturel vital dans les zones rurales et semi-rurales, loin des grandes métropoles comme Paris ou Lyon. En Pays de la Loire, seulement cinq de ces scènes existent pour toute la région.
Reconnu comme scène nationale et centre d'art contemporain d'intérêt national depuis 2002 et 2018, Le Carré propose une riche programmation de spectacles et d'expositions d'art contemporain. Installé dans le couvent des Ursulines, il est essentiel pour la vitalité culturelle de la région, où les ressources culturelles sont précieuses. Mais depuis octobre 2024, tout a changé et Maël Grenier, directeur du Carré, tire la sonnette d'alarme : "Notre structure dépend à 85% de financements publics, dont 8% proviennent de la Région. Cela signifie que nous disposons de 32% de ressources en moins pour notre budget artistique – c'est-à-dire ce qu'il nous reste pour programmer et soutenir les artistes –, toutes nos activités culturelles sont impactées."
Ces coupes budgétaires ont également un impact humain sur les recrutements et pourraient même entraîner des licenciements. "Je suis en train de geler des recrutements, d'arrêter des collaborations, de réduire les spectacles, les résidences et les projets de territoire", explique Virginie Boccard. Le matin même de notre entretien, elle a annoncé à une compagnie qu'elle n'aurait pas les moyens de l'accueillir dans sa programmation comme c'était prévu.
Pour d'autres, on parle même d'aller jusqu'au licenciement. "Actuellement, nous sommes cinq permanents, mais à l'automne, sur les cinq, il se peut que nous devions nous séparer de quatre personnes. Faites le calcul. Il n'y aura plus qu'un permanent", explique Camille de La Guillonnière, directeur artistique de la compagnie du Théâtre régional des Pays de la Loire.
Ces coupes perturbent non seulement les partenariats avec les associations, mais aussi tout un écosystème culturel qui permet une attractivité de territoires parfois sinistrés : "Les coupures de subventions entraînent des annulations de projets, des licenciements et affectent l'économie locale, des imprimeurs aux hôteliers", rappelle Virginie Boccard.
Pour Mélanie Alaitru, directrice du Chabada, une scène de musiques actuelles à Angers, les problèmes de timing nuisent à l'activité du lieu. "Ces coupes brutales surviennent après la crise du Covid et dans un contexte d'inflation qui a fragilisé le secteur, notamment les artistes émergents qui se produisent chez nous", détaille-t-elle.
L'impact sur la culture touche aussi bien les grandes villes que les petites communes, où les financements soutiennent les coûts de fonctionnement des lieux culturels, mais surtout leur mission de service public.
"Le Conseil régional était notre principal financeur avec une subvention de 100 000 euros sur un budget global de 800 000 euros", explique François Gabory. Cette aide était essentielle pour maintenir l'accessibilité de la culture. "Sans cette aide, nous allons devoir augmenter les prix des billets et chercher d'autres sources de financement", poursuit-il.
/2025/02/21/le-carre-2-67b87f8c329d4782807005.jpg)
Au Carré, pour permettre un ticket à bas coût, une compensation financière de la part de la Région est nécessaire, et la conversion est simple. Le prix moyen du billet, incluant les scolaires pour refléter fidèlement la fréquentation importante de ce public, s'élève à "10,70 euros". Selon Maël Grenier, sans subventions publiques, ce prix moyen augmenterait "à un minimum de 95 euros" et pourrait atteindre "jusqu'à 117 euros" si l'on supprimait toutes les "places exonérées".
Et trouver des alternatives privées, comme le préconise la présidente de région, n'est pas simple. "Les entreprises privées, elles-mêmes en difficulté, ne peuvent pas compenser ces baisses", précise François Gabory. Virginie Boccard lance un avertissement : "Ce n'est pas en transformant nos théâtres en lieux de location que nous remplirons notre mission de service public. Je refuse qu'on se transforme en Palais des Congrès."
Au-delà des enjeux financiers, cette politique est perçue par certains comme une décision idéologique, réduisant la culture au rang de secteur non prioritaire. Christelle Morançais a d'ailleurs insinué, dans un tweet, que la culture serait "le monopole d'associations très politisées, qui vivent d'argent public".
Une "accusation absurde" pour Virginie Boccard, qui estime que la culture, "tout comme d'autres domaines comme le sport ou l'égalité femmes-hommes ne sont juste pas considérés comme essentiels par la présidente de région".
La culture serait donc un monopole intouchable ? Le monopole d’associations très politisées, qui vivent d’argent public. Je suis la cible de militants qui m’accusent de vouloir arrêter les subventions régionales à leurs structures. A moi seule, je voudrais « détruire la culture »…
— Christelle MORANÇAIS (@C_MORANCAIS) November 12, 2024
Pour les acteurs locaux, le réseau associatif et culturel joue un rôle crucial dans le rayonnement du territoire. Pour certains, le problème touche même leur identité.
C'est le cas de la compagnie du Théâtre régional des Pays de la Loire, qui sillonne les routes pour rapprocher le théâtre des gens. "C'est toute une philosophie de théâtre de service public qui est en danger", explique Camille de La Guillonnière, le directeur artistique.
/2025/02/21/mille-francs-de-recompense-2016-c-trpl-67b88e246b0ee835405057.jpg)
"Un théâtre 'pauvre', qui va à la rencontre des spectateurs. Avec ces coupes, nous ne pourrons plus nous rendre que dans 30 villages au lieu de 70. Tout le monde y perd, la compagnie et le public. Si cela disparaît, c'est toute la richesse de notre art qui s'effondre", ajoute-t-il.
Et d'ajouter une précision importante : "Si le budget 2026 n'est pas voté différemment, nous changerons de nom, car il n'y a aucune raison que la région apparaisse dans notre nom si elle se désengage."
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